On a aimé, on partage !
Née en 1988, Marion Fayolle grandit dans l’Ardèche, puis étudie l’illustration à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. En tant que dessinatrice de presse, elle collabore avec plusieurs revues prestigieuses (Le Monde Magazine, XXI, Télérama, The New Yorker, The New York Times…). À partir de 2012, elle devient scénariste et dessinatrice de romans graphiques publiés par les éditions Magnani. Traitant de sujets liés aux rapports humains (deuil, relations amoureuses, couple, parentalité…), ses albums, souvent de grand format, sont reconnaissables à leur dessin simple aux couleurs pastel, et à leur ambiance poétique et décalée. En 2018, Les Amours suspendues obtient le Prix spécial du jury du Festival d’Angoulême. Le premier roman de Marion Fayolle, Du même bois, paraît en janvier 2024 dans la collection Blanche des éditions Gallimard, il faisait partie de la première sélection du Prix des Libraires 2024.
Du même bois
Marion Fayolle
Gallimard, 2024
Une ferme en Ardèche
C’est à travers le regard de « la gamine », qui grandit dans la ferme de ses grands-parents en Ardèche, que l’auteur décide de nous raconter l’univers de son enfance et de son adolescence, celui d’une famille modeste en milieu rural. La mémé qui regarde avec tendresse ses albums de photos, le pépé, usé par les travaux agricoles, le frère du pépé, un peu attardé et alcoolique, qui s’éprend d’une poule faisane, la mère, gênée par sa ressemblance avec sa propre mère, l’orphelin, qui remplace le fils que les grands-parents n’ont jamais eu.
Le règne animal
Dans la chambre des parents, il y a une porte qui donne sur l’étable, ce qui leur permet d’entendre si les vaches ont un comportement anormal. Du fait de cette grande proximité, les animaux et les humains déteignent les uns sur les autres. Par moments, on ne sait plus si l’auteur parle d’un humain ou d’un animal, comme dans cette scène où elle passe sans transition du récit d’un vêlage au récit d’un accouchement. La vie des habitants de la ferme est entièrement réglée sur le rythme de vie des vaches : leurs heures de repas, la saison où on les met au pâturage… « Le pépé répète souvent que le jour où il n’y aura plus de bêtes, ça ne sera plus vivable. »
Une déclaration d’amour au monde rural
Grande est l’importance du paysage dans ce récit de l’enfance et de l’adolescence de l’autrice. Marion Fayolle dit qu’elle a décidé d’en faire un roman parce qu’elle n’arrivait pas à dessiner les paysages (c’est vrai qu’il y en a peu dans ses romans graphiques). Elle rend ici hommage à ce monde de taiseux, de travailleurs acharnés qui vivent sans jamais prendre de vacances, entièrement dévoués à leur besogne. En quinze courts chapitres, Marion Fayolle dresse un tableau sincère et poétique de ces personnages tous faits « du même bois ».
Les Amours suspendues
Marion Fayolle
Magnani, 2017
Jeu de séduction
Un homme marié ne peut s’empêcher de vivre des histoires avec d’autres femmes, mais, pour ne pas tromper la sienne, il met fin à ces aventures dès qu’elles deviennent sérieuses. C’est comme s’il figeait ses sentiments au moment où l’attirance est à son comble, se protégeant ainsi d’une éventuelle déception, et gardant intact le réconfort que lui apportent ces histoires d’amour platoniques. Il conserve précieusement ces « amours suspendues » dans une chambre secrète de sa mémoire, où il se réfugie quand il est triste.
Une comédie musicale dessinée
Pour donner une dimension supplémentaire à son roman graphique, l’autrice a choisi d’y intégrer des chansons et de dessiner les personnages en train de chanter et danser, en faisant ainsi la première comédie musicale dessinée au monde. « Sans la musique, c’était un gros défi ! J’ai hésité à prendre des chansons existantes, mais comme j’aime la difficulté, je me suis lancée. »
Un dessin reconnaissable entre mille
Que ce soit dans L’Homme en Pièce (Michel Lagarde), La Tendresse des pierres (Magnani), Les Faux pas (Magnani), ou encore La Maison nue (qui faisait partie de la sélection du Festival d’Angoulême en 2023), Marion Fayolle fait preuve d’une simplicité et une authenticité touchantes, montrant à la fois les failles des personnages, mais aussi leurs rêves, leurs échecs et leurs espoirs. Elle s’accorde une grande liberté dans ses dessins, qui glissent parfois insensiblement du figuratif au surréaliste, et n’hésite pas à s’amuser avec les corps de ses personnages en les transformant, en les déstructurant, et même parfois en les agglomérant, comme s’ils étaient des marionnettes sous son crayon.
Agnès, avril 2024